Acrimed interviewe Matthieu Lépine, ce professeur d’histoire-géographie qui recense sur Twitter les accidents du travail. Une information décevante ! « Il faudrait des enquêtes plus larges. »
Accidents du travail
Les accidents du travail sont souvent traités comme des faits divers. C’est décevant. Quand ils sont repérés comme accidents du travail ! C’est le constat amer que fait Matthieu Lépine, ce professeur d’histoire-géographie qui recense les accidents du travail sur Twitter. Jour après jour, il propose une veille en s’appuyant sur des articles de presse. Avec ce slogan : « Face à l’indifférence des médias soyons notre propre média. » Il interpelle aussi régulièrement la ministre du Travail.
Acrimed
Interviewé dans Acrimed, par Pauline Perrenot, le 2 février 2021, Matthieu Lépine explique qu’il s’appuie sur la presse, notamment locale, pour réaliser son recensement. « je recense 1 000 accidents par an (…) Donc mon travail est un « zoom » qui met la lumière sur un problème, mais il faudrait des enquêtes plus larges. Et c’est vrai que personne ne fait le travail de visibilisation en France, qu’il y a très peu de chiffres et que ceux dont on dispose, comme ceux de l’Assurance Maladie, comportent des limites. »
Une information décevante
Selon lui, les articles de presse -qui ont le mérite d’exister-, ne rendent pas compte de la réalité sur le terrain. Bien souvent, déplore-t-il, les faits relatant des accidents de travailleurs ne précisent pas s’il s’agit d’accidents du travail. Le mot est comme « tabou ». « Il faudrait pourtant pouvoir le considérer (ce phénomène) comme un fait social, dans la mesure où ça arrive tous les jours, partout en France, dans tous les corps de métier : selon les chiffres « officiels » dont on dispose, on parle de plus de 650 000 victimes par an, ça mériterait quand même qu’on s’y intéresse un peu plus que ça. » Au total, la branche AT/MP de la Sécurité sociale, en a dénombré, en 2018, 651 103 (« en 1er règlement ») soit près de 1800 par jour, dont 551 décès soit 1,5 par jour ! Ils ont même augmenté de 0,6 % en 2019, par rapport à 2018. Sans oublier les sous-déclarations…
Matthieu Lépine
Ce militant déplore aussi l’anonymat qui entoure ces accidents. « De la victime, on ne connaîtra ni l’âge, ni parfois même sa profession exacte ! « Un homme est mort », et voilà. » Il regrette encore le manque de suivi de l’information. La routine des journalistes « consiste à faire la tournée des commissariats, des casernes ou des urgences par téléphone, et voir ce qui en ressort. C’est aussi pour ça que c’est souvent très peu détaillé : l’information arrive par ce canal, est reproduite, et s’arrête aussitôt. » Les victimes n’ont presque pas d’existence, pas de nom, pas d’histoire… C’est terrible.
Si la presse locale revient régulièrement sur ces accidents, il n’en est pas de même de la part des médias nationaux, ajoute Matthieu Lépine. Il faut souvent attendre un fait touchant de grands groupes connus pour que l’information sorte. Il se souvient du 22 décembre dernier, où un ouvrier est mort sur la ligne 16 du métro parisien, en construction. Un autre ouvrier a subi un grave accident après une chute. « J’ai posté la nouvelle sur Twitter de mon côté, et dans les heures qui ont suivi, un certain nombre de médias se sont empressés de décrocher leur téléphone pour savoir si l’information était vraie… et elle l’était. Il y a eu à ce moment-là une couverture plus large, parce que c’était Eiffage et « le Grand Paris ». »
« Silence, des ouvriers meurent ! »
Comme l’affirment les fondateurs de la Fnath, en cette année de centenaire, le « travail est essentiellement un service public et non pas exclusivement un service particulier. Il assure la vie de la collectivité. Ainsi en démocratie organisée, le travail constitue un devoir. Tout devoir correspond a un droit : le droit à la garantie contre les risques de ce devoir…» Cela vaut toujours aujourd’hui ! Avec le droit de n’être pas exposé par son travail.
Mobilisation
Il serait aussi intéressant de sonder les travailleurs et travailleuses d’aujourd’hui, ceux qui suivent les médias, pour sonder leurs connaissances des accidents du travail et des maladies professionnelles, de la législation et de la prévention. Les médias sont également le miroir de ce qui captive leurs publics, même s’ils ont le droit et le devoir de prendre l’initiative de les intéresser. Il faudrait enfin se poser la question de savoir pourquoi l’on tolère encore collectivement une telle sinistralité ?
Pierre Luton
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